CASPIENNE (MER)

CASPIENNE (MER)
CASPIENNE (MER)

Le destin de la Caspienne, qui est la plus vaste des mers fermées du globe, pose à l’homme un problème d’aménagement passionnant: comment lutter contre la nature qui tend à l’assécher et la condamne à disparaître? Cette mer occupe la partie occidentale de la dépression touranienne, vaste cuvette apparue au Tertiaire, gauchie au Quaternaire et que des mouvements du sol, se traduisant par la montée de plis diapirs, la mise en place de volcans de boue, le déplacement de bouches d’émission d’hydrocarbures, continuent à déformer. Si la mer Caspienne a, jusqu’au Pliocène, été en communication avec la mer Noire et la mer d’Aral, elle forme, aujourd’hui, une nappe d’eau indépendante dont le volume ne cesse de décroître, l’évaporation prélevant davantage d’eau que ne lui en apportent ses tributaires. Sa superficie, difficile à préciser en raison de l’incertitude de ses rivages (ceux-ci se développent sur 6 380 km dont 992 km en Iran), est de l’ordre de 372 000 km2 (elle était de 424 000 km2 au début du siècle), le plan d’eau se trouvant à quelque 28 m au-dessous du niveau moyen des mers.

Caractères physiques

La cuvette marine de la Caspienne se compose de deux parties que sépare une crête faiblement ennoyée courant depuis les chaînes sud-orientales du Caucase jusqu’à la montagne du Balkhan, en Asie moyenne. Au nord, une pellicule d’eau n’ayant que quelques mètres d’épaisseur s’étend sur la partie basse de la vaste plaine, d’abord steppique puis désertique, que drainent, en s’appauvrissant, de grands fleuves allogènes: la Volga, l’Oural, l’Emba, tributaires de la mer. Le golfe de Kara-Bogaz (le Trou noir), qui ne communiquait avec la mer Caspienne que par un étroit goulet, est aujourd’hui fermé et séparé de la mer Caspienne proprement dite. Il couvre quelque 18 000 km2. Au sud, le fond de la mer Caspienne s’enfonce progressivement jusqu’à atteindre 漣 995 m au pied des hautes chaînes iraniennes, formant, à l’autre extrémité du Caucase, une fosse symétrique de celle de la mer Noire orientale.

Les caractères hydrologiques de cette mer sont fort originaux. Ses fonds sont, comme ceux de la mer Noire, azoïques, mais une faune relativement riche se développe dans les horizons superficiels. La teneur en sel de l’eau, égale, en moyenne, à 12,73 p. 1 000, toujours élevée, varie sur de courtes distances, allant de 10 à 15 p. 1 000, et augmente en direction du sud ou vers le fond des golfes. Cette teneur atteint même 20 p. 1 000 dans le golfe de Kara-Bogaz, dont les eaux, fortement chargées en sel de Glauber (sulfate de sodium), ont laissé s’accumuler sur le fond un véritable tapis, épais de 2 m, de cette substance que l’on exploite pour les besoins de l’industrie chimique.

La mer Caspienne reçoit les eaux d’un bassin étendu sur quelque 3,6 millions de kilomètres carrés. Ses tributaires, au premier rang desquels figure la Volga qui fournit 76 p. 100 du débit liquide, lui apportent une tranche d’eau annuelle de 856 mm à laquelle les précipitations ajoutent 177 mm. Ces 1 033 mm sont prélevés par l’évaporation. Les eaux des tributaires déversent dans la mer, chaque année, quelque 120 millions de tonnes de matières solides: la Koura, 36,4 millions de tonnes; la Volga, 25,2 millions de tonnes. Placées dans une zone de climat semi-désertique à hivers très froids, les eaux du bassin septentrional sont prises par les glaces durant trois mois. Celles du bassin méridional échappent au gel, en raison de températures moins rigoureuses, mais aussi de la profondeur de la cuvette et de la remontée, l’hiver venu, de l’eau chaude accumulée en profondeur durant l’été.

L’aspect physique des côtes varie du nord au sud. Au nord, ce sont des côtes d’émersion, basses, dont le tracé indécis change selon les saisons, faites de plages, tour à tour découvertes et recouvertes, de lagunes et de marais. Le delta de la Volga, très digité, de type mississippien, s’étale sur une profondeur de 70 km et une largeur de 150 km, comblant peu à peu le bassin dans lequel il débouche. Les côtes se présentent, au contraire, sous la forme de falaises en bordure des reliefs méridionaux, et ce dès la presqu’île de Manguychlak. Tracées dans une zone d’intense volcanisme contemporain, les côtes du Caucase oriental, très escarpées, sont sujettes à de fréquentes modifications. Le littoral perd de sa vigueur au droit des montagnes iraniennes que bordent, vers le nord, un piémont déprimé et de basses plaines alluviales, souvent marécageuses, sur lesquels règne un climat chaud et humide propice au développement, dans les provinces de Talych, Ghilan et Mazanderan, d’une végétation de type subtropical.

Ressources et activités

La pêche, favorisée par le mélange d’eaux douces et saumâtres et par l’abondance des dépôts organiques comme par la présence de nombreuses lagunes et de deltas dont les eaux se prêtent à la reproduction des espèces, est longtemps demeurée très active en Caspienne. Les espèces les plus recherchées sont, outre une variété de gardon, la vobla , le saumon et, surtout, l’esturgeon. La chasse au phoque, pratiquée de longue date sur les côtes de la presqu’île de Manguychlak, a quasi disparu en raison de la raréfaction du gibier. La plupart des bateaux de la flottille de pêche sont basés à Astrakhan, ville qui abrite aussi les conserveries de caviar. La pêche est moins développée dans le bassin méridional, exception faite du littoral iranien le long duquel abonde l’esturgeon. Les prises, qui s’élevaient, du côté soviétique, à quelque 500 000 t dans les années qui ont précédé et suivi la Première Guerre mondiale, sont tombées à moins de 200 000 t depuis le début des années soixante, l’établissement de barrages sur la Volga et la pollution des eaux du fleuve et de la mer par les industriels et les citadins contrariant la reproduction de l’esturgeon. Aussi la Caspienne, qui fournissait, à la fin du XIXe siècle, les deux tiers des prises opérées par la flotte russe de pêche en mer, ne livre plus guère que le dixième des captures effectuées par la flotte spécialisée.

Le trafic, qui fut très actif lors de la phase d’exploitation intensive du gisement de pétrole de Bakou, a beaucoup diminué en raison tant de la réduction de la production pétrolière que de la concurrence des oléoducs. Il consiste surtout en un déplacement de poissons, de matériaux de construction et de sel entre les ports riverains du bassin septentrional. En outre, des lignes régulières de marchandises et de voyageurs relient, d’un côté, Astrakhan à Bakou et Krasnovodsk et, de l’autre, Bakou à Krasnovodsk, permettant ainsi la liaison transcaspienne entre le réseau ferroviaire européen et les voies ferrées assurant la pénétration de l’Asie moyenne. Il existe, enfin, un important trafic de marchandises pondéreuses qui porte, pour moitié au moins, sur des hydrocarbures en provenance des champs pétrolifères du Caucase ou de Turkménie. Pour les tankers de moyen tonnage qui prennent en charge les hydrocarbures bruts ou raffinés, la liaison est directe, aucune rupture de charge n’intervenant à Astrakhan avec la mer Noire, d’une part, via le canal Volga-Don, et, d’autre part, via la Volga et les canaux de jonction qui débouchent dans ce fleuve, avec Moscou et sa «mer» intérieure. Le trafic maritime de la Caspienne, estimé à quelque 40 millions de tonnes chaque année, ne représente guère que le sixième du tonnage transporté par la flotte soviétique, et les hydrocarbures en fournissent la moitié.

Le premier des ports de la Caspienne reste Bakou, qui offre, dans ses installations d’Apchéron, un tirant d’eau de 5 à 6 m, et joue un rôle fondamental dans la vie d’une agglomération qui rassemble, au début des années quatre-vingt-dix, quelque 1 800 000 habitants. Le port d’Astrakhan, ville qui n’accueille guère que 500 000 habitants et qui se classe au second rang, est situé à 200 km à l’intérieur des terres et se divise en trois échelons: d’abord, au sud, un port maritime assurant un tirant d’eau de 5 m, puis un port médian mixte et, enfin, un port fluvial uni à la section navigable de la Volga par un canal latéral à l’un des bras du delta. Mal reliés à l’arrière-pays, les autres petits ports n’ont qu’un rôle local et, comme ceux qui sont installés sur les rives du bassin septentrional s’ensablent, le trafic qu’ils assurent ensemble décline continûment depuis les années cinquante.

Une mer qui se tarit

Le problème majeur de la Caspienne est posé par la réduction accélérée de sa superficie. On estime que, depuis un siècle et demi, le niveau des eaux a baissé de plus de 6 m; et, depuis 1930, cette diminution atteindrait 3 m. Ainsi, les eaux se retirent du nord au sud, les baies, fermées par des cordons, se comblent, les ports sont envasés et leur accès nécessite de coûteux travaux, les golfes autrefois les plus poissonneux sont en voie d’exondation. On a repéré une ligne d’habitats jalonnant un ancien rivage et située à 50 km en arrière du rivage actuel; des localités, qui étaient des ports actifs il y a encore quelques dizaines d’années, sont actuellement coupées de la mer. Le comblement est, sans nul doute, causé par l’avancée du delta. On a invoqué, en outre, l’assèchement progressif du climat, la permanence des mouvements tectoniques, qui ont pour effet de modifier les contours du bassin de subsidence. Mais l’accélération du processus est contemporaine de la construction d’ouvrages à l’intérieur des terres, ouvrages qui distraient une partie des eaux douces s’écoulant autrefois vers la mer au profit soit du ravitaillement des villes et des industries qui se sont multipliées le long de la Volga et de l’Oural, soit de l’irrigation des zones sèches mises en culture qui s’étendent entre Oural et Caspienne. C’est donc le problème des modifications apportées par l’homme aux rapports hydrauliques existant entre Volga et Caspienne qui doit être résolu, l’action des hommes n’ayant fait qu’amplifier les processus de la nature: en l’espace de trente ans, la réduction du volume des eaux a été de 960 km3, ce qui représente quatre fois le volume annuel des eaux déversées par la Volga. C’est en fonction de tels calculs que les ingénieurs soviétiques ont proposé des plans d’aménagement qui visaient à rétablir l’équilibre détruit, en s’attaquant précisément aux causes d’origine humaine.

Bien que la baisse de niveau ait été moins angoissante au début du siècle, on avait déjà prévu un système d’alimentation de la Caspienne à partir de mers ou de fleuves de Sibérie et d’Asie centrale. Ce fut, d’abord, le projet d’un mégalomane, dit plan Davydov, repris dans les années d’après guerre, encouragé par Staline, qui avait pour objet de détourner les eaux coulant vers l’Arctique des grands fleuves, Ob et Iénisseï, de les rassembler dans d’immenses «mers sibériennes», reliées à la Caspienne, afin de l’alimenter en eaux nouvelles. Ce fut aussi le projet d’un grand canal turkmène, suivant le cours asséché de l’Ouzboï, qui reliait, au Pliocène, les deux mers intérieures et qui, outre l’irrigation des régions traversées, devait permettre la stabilisation du niveau de la Caspienne. Le caractère aléatoire de ces projets, l’importance des investissements autant que de la main-d’œuvre qu’ils auraient exigés ont provoqué leur échec, encore qu’un canal turkmène ait été aménagé, pour les besoins de l’irrigation, au long du Kopet-Dag, sans atteindre la Caspienne.

C’est en s’appuyant sur les mêmes principes – détournement des eaux vers la Caspienne – qu’ont été envisagés par la suite des projets plus réalistes et plus modestes, appelés «plan Apollov» et «Gidroprojekt». Il s’agit d’abord de détourner les eaux abondantes des fleuves se dirigeant vers le nord, Petchora et Vytchega, en direction de la Volga, qui les restituerait alors à la Caspienne; trois barrages devaient également être construits, afin de stocker un énorme volume d’eau qui serait, selon les besoins, dirigés par la Kama jusqu’à la Volga. On considère que, si la remontée progressive des eaux de la Caspienne ainsi obtenue ne pourrait pas permettre de reconstituer les rivages du début du XXe siècle, le processus de retrait serait au moins stoppé. La remontée du niveau pourrait, alors, être obtenue par l’application d’un projet techniquement beaucoup plus difficile à réaliser qui constitue le plan Apollov proprement dit. L’idée est de faire du bassin situé au nord de la presqu’île de Manguychlak un lac autonome, en le barrant par une série de digues, qui joindraient le bras le plus méridional du delta de la Volga à l’extrémité de la presqu’île: le lac, en retenant les eaux des fleuves, verrait son niveau s’élever progressivement. Les digues seraient percées de deux canaux pourvus d’écluses, l’un, à l’ouest, d’un débit égal à celui du Danube, l’autre, à l’est, d’un débit égal à celui du Dniepr, qui permettraient le passage des navires. La différence de niveau entre la partie nord et la partie sud de la Caspienne serait exploitée par des centrales électriques. Dans le bassin même, les conséquences positives de cet aménagement seraient les suivantes: diminution de la durée du gel et élimination des radeaux de glace par la régularisation de la salinité, renaissance des points de pêche abandonnés, comme Prvova et Gurjev, remontée des eaux dans le delta de la Volga, favorisant ainsi la multiplication des lieux de reproduction du poisson, possibilité d’irrigation des régions de la Volga inférieure. La construction d’une voie ferrée qui, par la digue principale, joindrait les deux rives était également prévue.

On estime ainsi que près de 500 km de digues maintiendraient le niveau à plus de deux mètres au-dessus de celui du bassin méridional. L’isolement du golfe de Kara-Bogaz, source d’eau alcaline qui se déversait dans la Caspienne, a permis, en outre, d’abaisser le taux général de salinité.

Nous ne disposons que de peu d’informations sur les réalisations concrètes de ces projets qui nécessitaient des investissements considérables, alors que la mer Caspienne n’a jamais tenu qu’un rôle relativement mineur dans l’économie de l’ex-U.R.S.S. Néanmoins, on estime généralement que, en cette fin du XXe siècle, le niveau de la mer Caspienne s’est stabilisé.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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